SAMAYA x REGARD SUR L’AVENTURE

EXPLORATION GLACIAIRE AU KIRGHIZISTAN

 

 
En octobre et novembre 2023, Bruno Fromento, Didier Gignoux et des membres de leur association « Regard sur l’Aventure » ont rejoint le glacier Inylchek au Kirghizistan afin de poursuivre leur étude sur les crues glaciaires entamée 4 ans plus tôt. Pour Samaya, Bruno raconte ces deux mois d’exploration et le chemin qu’il reste à parcourir.
 
Vous aviez déjà réalisé deux expéditions au Kirghizistan, en 2019 et en 2022. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous y rendre à nouveau ?
Bruno Fromento : Nous souhaitions revenir sur le glacier Inylchek afin de continuer nos investigations autour du lac Merzbacher et en lien avec les crues glaciaires. Il s’agit de l’un des plus longs glaciers non-polaires au monde, long de 60 kilomètres et avançant de 120 mètres par an. Notre objectif était d'explorer les moulins glaciaires situés à la confluence entre les glaciers nord et sud. C’était une opportunité pour notre équipe de s'immerger au cœur du glacier et de suivre les réseaux sous-glaciaires.
 
Ce projet s’inscrit donc dans la continuité d’expéditions précédemment réalisées. En quoi ces expéditions sont-elles importantes, d’un point de vue scientifique ?
BF : Nos différentes observations nous ont permis de constater que le glacier continue de fondre. Certains moulins explorés dans la zone avale du glacier ont en partie disparu. Les sources glaciaires évoluent et se déplacent sur le front du glacier. Nous avons retrouvé des perches précédemment enterrées, servant à l’observation du glacier, hautes de plus de 3 mètres. Ces perches nous permettent de confirmer la lente fonte glaciaire.

Aujourd'hui, comprendre les crues glaciaires est d'une importance capitale. Certaines vallées peuplées de villages, dans des régions de haute montagne comme le Népal, le Pakistan ou l’Inde, peuvent être dévastées par ces crues appelées GLOF (Glacial Lake Outburst Flood). L’enjeu se révèle crucial pour les populations qui doivent pouvoir être alertées des risques imminents liés aux GLOF, comme c’est le cas en France pour certains lacs des Alpes, pour lesquels est assuré un suivi pour prévenir les catastrophes.
 
Comment mettez-vous tout cela en œuvre sur place ?
BF : Se rendre sur le glacier Inylchek représente un périple de quatre jours de voyage avant d’atteindre la station scientifique Gottfried Merzbacher à 3500 mètres d'altitude. Nous suivons la rivière Inylchek avec un véhicule tout-terrain. Ce trajet se déroule sur une piste, puis sur la moraine du glacier jusqu'au camp de base inférieur à 2800 mètres d'altitude. Nous y passons deux nuits avant de monter jusqu'au camp d'altitude. Des porteurs nous aident au transport du matériel qui représente environ 500 kilogrammes. Pour rejoindre le camp d’altitude suivant, nous marchons 17 kilomètres et effectuons 1000 mètres de dénivelé sur la moraine.

Là-haut, nous avons bivouaqué 12 jours. Ce camp est situé en face nord et n’est donc jamais ensoleillé. Le froid et l'ombre règnent constamment. Une tente collective est notre lieu de convivialité où nous partageons repas, discussions, jeux et soupçons de réconfort. Nous sommes entourés de sommets de 4000 à 7000 mètres d'altitude et les températures sont toujours négatives, autour des -15 °C.

En journée, nous formons des équipes pour explorer les moulins. Autant dire que tout le monde se porte volontaire pour descendre sur le glacier afin de profiter des quelques heures de soleil. Parcourir le glacier Inylchek est magique. Nous sommes au point de jonction de deux immenses glaciers qui se heurtent par des crevasses, des séracs, des lacs gelés, des craquements, des canyons. L'engagement est certain dans ce genre de paysage. Nous n’avons pas droit à l’erreur, l’accident est impossible. Nous n’avons pas d’appui logistique, pas d’hélicoptère. L’aspect sécuritaire est donc omniprésent.
 
 
Comment se déroulent vos journées sur le glacier ?
BF : La réponse à cette question passe d’abord par l’explication de la composition du terrain. Une bédière est un cours d’eau issu de la fonte des glaces et qui se jette dans un moulin. Dans la période où nous nous trouvons, les cours d'eau sont gelés. Descendre dans un moulin n'est pas anodin : nous devons équiper l'accès avec des broches et des cordes. Le soleil et la fonte du glacier, même minime, peuvent entraîner des problématiques dans nos explorations : chute de rocher ou de glace, présence d'eau de fonte qui nous arrose. Quand le soleil disparaît derrière les hautes montagnes et que le froid revient, le terrain se stabilise. Toutefois, nous pouvons rencontrer d'autres difficultés, comme l'explosion de la glace à la suite d’un coup de crampons ou de la mise en place d'une broche. Nous libérons des tensions ! Nous devons également faire attention de ne pas nous mouiller dans les vasques d'eau présentes dans les moulins, car les températures négatives rendraient la situation critique. Cet exercice nous oblige à certaines voltiges sur corde !
 
 
Durant plusieurs semaines, vous avez poursuivi votre étude du glacier. Peux-tu nous partager les moments qui t’ont le plus marqué ?
BF : Je pense tout de suite à un moment d'exploration durant lequel nous sommes descendus au cœur d’un moulin de 90 mètres de profondeur, avec le bruit d'une cascade non loin. Sur la paroi de ce vaste espace, des stalactites de glaces suspendues et des plaques de glaces de plusieurs tonnes s’étaient formées, collées par le gel. Nous y avons posé les broches et je me souviens avoir ressenti de l’inquiétude. Cette sensation m’a fait prendre conscience que nous avions sûrement pris des risques.

Je repense également au moment où notre camion, qui nous faisait passer un col à 3900 mètres, a crevé sur la piste enneigée. Ou encore lorsque qu’un membre de notre équipe a traversé la glace d'un cours d'eau gelé et s’est retrouvé mouillé jusqu'aux mollets.

Sinon, ce qui m’a particulièrement touché, ce sont les moments de partage. Nous partions tous bivouaquer sur le glacier pour explorer les moulins et les accès au lac Merzbacher. Nous avons passé des bonnes nuits dans les tentes Samaya3.0. Elles sont spacieuses et faciles à monter et les vestibules nous ont permis de protéger nos équipements. Malgré le froid et les conditions, nous avons tous appréciés être une équipe aussi soudée.
 
 
Cela fait quelques mois que vous êtes rentrés. Que ressens-tu aujourd’hui par rapport à ton projet ?
BF : Je ressens un sentiment de fierté, car réaliser de l'exploration dans un coin reculé en hiver n'est pas commun. La présence d'une équipe forte sur place rend toutefois les choses plus faciles. Enfin, l'exploration des moulins glaciaires reste une activité marginale qui mérite que l'on s'y intéresse plus précisément. Elle peut apporter beaucoup d'éléments et d'informations.

Le mystère de ce phénomène naturel, le GLOF, reste entier. Nous avons émis des hypothèses, mais, pour bien faire, il faudrait observer le glacier en été. Nous manquons de temps et d'argent. Nous ne désespérons pas de pouvoir conduire une équipe de chercheurs intéressés par la région.

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